HISTOIRE D'UNE FAMILLE ....
LES METIERS
Métiers anciens, oubliés, d'autrefois. Appelons-les comme on veut ; Ce sont les métiers de nos ancêtres. Bon nombre ont disparu, d'autres ont changé, certains sont perpétués par de trop rares passionnés. Ils étaient leur raison de vivre, leur vie.
Les laboureurs, les artisans, les journaliers, hommes et femmes solidaires qui ont vécu au jour le jour, au rythme simple des saisons, ont façonné notre passé.
Quelle vie avaient nos ancêtres en Poitou dans le courant du grand siècle et au siècle des lumières ?
La plupart des gens sont peu fortunés, les billets de banque sont inconnus. Seules les pièces sont en circulation. Dans les exploitations agricoles, les laboureurs et leurs familles vivent en autosuffisance. Ils se chauffent au bois abattu des haies.
Tous disposent d'un four en maçonnerie pour cuire le pain, les poules produisent des œufs et l'élevage des cochons fournit la viande que l'on met en conserve salée dans les grands pots de terre cuite : les charniers. Les bovins appartiennent souvent à des races rustiques, aptes au travail de charroi et au labour, mais sont d'un faible rendement de lait. Les vaches arrivent à élever leur veau mais, pendant un court délai, la traite ne produira que quelques litres de lait par journée. On en fera du beurre, baratté à la main, qui sera conservé pour la nourriture hivernale.
La plupart des fruits actuels sont inconnus, on consomme parfois des pommes, des châtaignes, des raisins, des cerises sauvages…
On ne connaît pas les pommes de terre, les tomates, les choux-fleurs, les asperges, les fraises à gros fruits. Aucun fruits exotiques n'apparaient sur les tables : bananes, oranges, citrons, sucre, café, chocolat sont présents à la cour du roi depuis Louis XIV, mais ne sont pas encore répandus au niveau du peuple. Les paysans produisent également la matière première de leurs vêtements : la laine des moutons.
Ils cultivent aussi le chanvre et surtout le lin qui après avoir subi certains traitements peut être filé. Conduit chez les tisserand, ceux-ci feront une toile qui fera d'excellents draps de lits ou de solides vêtements.
Une étude fine de cette époque révèle un analphabétisme massif à la veille de 1789, puisqu'il touche au moins 60% des hommes et 85% des femmes, ce qui ne veut pas dire que le reste de la population soit fort instruit : beaucoup ont fait leurs lettres après quelques mois d'école… Il faut savoir que l'éducation est payante et non subventionnée, que les personnes susceptibles d'enseigner, mis à part le curé ne sont pas disponibles et présentes partout. Il ne faut pas cacher non plus, le fait que certains parents n'apprécient pas de voir leurs enfants devenir plus instruits qu'eux-mêmes, craignant que leur autorité s'en trouve de ce fait réduite.
Quelques définitions de métiers exercés par mes ancêtres
Le scieur de long
Toujours par deux, les scieurs de long (le chévrier et le renard ou renardier) font partie du peuple de la forêt. Le doleur dirigeait plusieurs équipes de scieurs. Pierre Crépier né 1820 à la Ronde (79) , exerçait ce métier en forêt de Chantemerle. Pendant plus de 12 heures par jour, il devait certainement débiter des poutres, des planches, plus tard des traverses pour le chemin de fer.
Le scieur de long travaillait plusieurs espèces de bois suivant la demande des clients.
Il s'agissait souvent de chêne, de hêtre ou d'orme. Le châtaignier était utilisé pour les charpentes car il a la propriété d'éloigner les insectes. Le cœur du tronc était utilisé pour produire les pièces importantes pour les charrons, comme les limonières qui devaient être très solides.
Après avoir été abattu, l'arbre est d'abord débité avec le passe-partout (scie à deux poignées avec une large lame), puis il est équarri avec une hache appelée bigeoir ou hache à peler. Le doleur intervient alors pour tracer les ligne de coupe avec une simple corde trempée dans un mélange de cendres et d'eau qui laissera une ligne noire sur le tronc. La coupe va pouvoir commencer. Il faut alors hisser le tronc sur la chèvre (aussi appelée mouton ou chantier) ; il s'agit d'une longue poutre solide qui repose à une de ses extrémités au sol et à l'autre sur 2 ou 3 pieux solidement fixés au sol. Le tronc y est maintenu par une cale et une chaîne de telle façon qu'il dépasse de la moitié de sa longueur. La niargue (scie composée d'un cadre de 1m60 sur 1m, d'une lame tendu par un écrou et d'une poignée) est alors affûtée, le chevrier monte sur le tronc tandis que le renard saisi la partie inférieure de la scie. Commence alors le va-et-vient de la scie, rythmé par la chanson du scieur de long ; le chevrier tire la scie vers le haut, le renard scie le tronc en redescendant. On procède ainsi pour toutes les lignes précédemment tracées, puis on fait la pause en trinquant, on retourne le tronc et la même opération recommence pour l'autre moitié. A 2 cm de la fin, la coupe est arrêtée ; les planches se sépareront d'elles-mêmes lorsque le tronc sera jeté à terre, produisant du même coup la signature des scieurs de long.
Le métier a été très prospère jusqu'au début du XXème siècle. Comme pour beaucoup d'autres, l'industrialisation l'a fait disparaître : ce fut d'abord l'apparition de scies à ruban, d'abord mues par la vapeur, puis par l'électricité, ensuite l'apparition du camion qui permettait de transporter les billes à la scierie où elles étaient ensuite débitées. Le métier a disparu au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Aujourd'hui, les scieurs de long ont disparus. Seul le folklore nous permet de retrouver les gestes de ces travailleurs des forêts.
Hache à peler
Scie à 4 mains
Le cordier
Il s'agit d'un métier très ancien, qu'un de mes ancêtres Louis Gachignard, né en 1820 à Loge Fougereuse pratiquait en complément d'une activité de journalier agricole. Son frère Henri qui demeura et mourut à Largeasse en 1871, exerçait également cette profession. Retrouvons ici les gestes du cordier, l'un des seuls métiers où il faille marcher à reculons sur plusieurs dizaines de mètres pour produire cette ficelle ou cette corde si anodine, mais pourtant si nécessaire à tous.
Avant que n'apparaissent les manufactures, on trouvait des artisans cordiers dans toutes les régions de la France, avec une prédilection pour les lieux de production du chanvre et les régions maritimes, Bretagne et Charentes, grandes demandeuses de cordes et de câbles.
Le matériau le plus employé est le chanvre. Le cordier peut aussi utiliser du lin, du tilleul ou du crin.
Le premier travail du cordier consiste à préparer le chanvre qu'il a acheté roui et broyé. Pour cela il utilise différents peignes aux dents plus ou moins longues et écartées (aussi appelés seran). Le plus grossier sert à débarrasser le chanvre des débris de bois (c'est le teillage), le plus fin sert à séparer les fibres en fils très fins (c'est le peignage).
Vient ensuite le filage. Pour cela, le cordier prend de la filasse qu'il tient dans un tablier autour de la taille. Après avoir fait une boucle qu'il accroche au rouet, le cordier va dévider le chanvre tout en reculant le long de l'aire qui peut mesurer jusqu'à cent mètres, tandis que le tourneur fait mouvoir la roue. Cela a pour effet de produire un fil tordu sur lui-même soutenu de près en près par des râteliers ou râteaux. Tout l'art du cordier consiste à dévider le chanvre le plus régulièrement possible.
La dernière étape consiste à réunir les fils et à les tordre ensemble pour faire des cordes. Ce travail peut s'effectuer sur le rouet pour les petits diamètres ; pour les tailles plus importantes, on utilise un chariot. Le principe, qui est toujours le même, consiste à réunir plusieurs fils, par torsion, pour produire un toron, puis plusieurs torons pour obtenir une corde. La corde terminée est enduite d'une solution de colle et d'eau.
Issus de la corporations des cordiers du Moyen-Age dont les statuts remonte au 17 janvier 1394, le métier de cordier est très ancien. La corporation des cordiers de Saint Valéry sur Somme est née en 1503. On relève en 1442 que les cordiers sont tenus "de bailler et livrer tous cordages gros et menus aux gens de justice... quand les cas adviennent pour lier, pendre et exécuter larrons, meurtriers et autres malfaiteurs." (Lettre patentes données à Tours par Charles VII).
En 1692, sous l'impulsion de Colbert, la Corderie Royale de Rochefort est édifiée dans un bâtiment de 370 mètres de long.
Mais bien souvent, jusqu'au début du XXième siècle, le cordier reste un artisan de village qui travaille à l'extérieur (par nécessité de place), mais à l'abri de la pluie qui influe sur la qualité des cordages. Sa production est destinée essentiellement au monde agricole, mais aussi aux autres artisans, tous consommateurs d'au moins un type de ficelle ou de corde. Aujourd'hui la culture du chanvre a pratiquement disparue et le cordier avec elle. De nos jours, le métier de cordier artisanal, tel qu'il est décrit ici, n'existe plus. Les fibres synthétiques et les machines ont remplacé le chanvre et les hommes.
" La porte s'ouvre, le cordier sort de l'ombre du hangar et commence sa marche à reculons. Autour de sa taille, une touffe de chanvre en bataille, que ses mains de prestidigitateur vont transformer en ficelle, puis en corde. "
Extrait de "Des métiers et des hommes au village" Bernard HENRY - 1975