HISTOIRE D'UNE FAMILLE ....
LE MARIAGE
Le nombre des invités d'une noce en Vendée varie souvent entre trois et quatre cents. Les voisins, ceux mêmes des villages dans un rayon de trois ou quatre kilomètres, sont conviés à prendre part à la joie de la famille. Tous, le matin du mariage, viennent chercher les époux pour les conduire au bourg. Et rien n'est aussi curieux que cette foule bariolée où la jaquette détonne dans l'harmonie des paletots à l'ancienne mode, des blouses du vieux temps, où le chapeau de la citadine semble
grimacer au milieu des jolies coiffes de nos paysannes. La mariée, d'ordinaire, n'est pas habillée de blanc. Coiffée de la cabanière avec dessus la couronne d'orangers, elle porte une robe de couleur agrémentée d'une large ceinture flottante; un mouchoir de tulle complète sa toilette.
La voilà donc prête, la gentille épousée, prête à se présenter devant le maire et le curé. Son départ de la maison paternelle est annoncé par deux coups de fusil.
Si le village est loin du bourg, cabriolets et chars-à-bancs ayant leurs chevaux fleuris à la tête de flots de rubans emportent les noceurs; dans le cas contraire on se rend à pied traînant après soi quelques bouteilles servant à désaltérer ceux qui viennent saluer la mariée. A la croisée de quatre chemins, on lui offre des fleurs champêtres; en retour elle met dans l'assiette déposée sur une chaise, une menue pièce et chaque invité imite son exemple. La mariée trinquait avec ceux qui venaient la saluer et emportait leur cadeau. Au bourg les musiciens, ils sont souvent deux ou trois dont les notes ont alterné le long du chemin avec les vieux airs vendéens, font entendre leurs joyeux accords. Puis le prêtre bénit l'union des jouvenceaux. Il dit à la jeune épousée, que la femme doit obéissance à son mari. Mais elle, pliant le doigt quand ce dernier va placer l'anneau, signifiera nettement qu'elle entend être la maîtresse dans son ménage. Elle sait que lors de la bénédiction nuptiale l'époux dont le cierge brûle le plus vite mourra le premier. Pour être heureuse, elle donnera au prêtre, afin qu'il les bénisse, 13 pièces d'or ou d'argent selon sa fortune. Le pasteur en gardera une et les douze autres remises aux intéressés constitueront les arrhes du mariage. Après la sortie de la sacristie, la mariée ira déposer un louis ou une pièce d'argent sur I' autel de la Vierge. Elle sait encore que, si trois mariages se rencontrent le même jour à l'église, l'un d'eux n'aura pas d'enfants.
Y en aurait-il deux seulement que la première épousée rentrant dans l'église mourra cependant dans l'année: celle qui sort la dernière devant la précéder dans la tombe, Aussi pour éviter ces malheurs, se donnent-elles la main à l'entrée et à la sortie: il est toujours assez de fâcheux présages, ne fut ce encore que la rencontre fortuite d'un convoi funèbre ?
La cérémonie religieuse est terminée. Chacun des invités vient présenter ses vœux de bonheur aux mariés arrêtés à la porte de l'église. Tous embrassent les deux époux, puis il s'agit d'acheter les cadeaux. Garçons et filles vont dans les magasins. L'un prend un balai, l'autre une marmite. Les demoiselles se cotisent et achètent soit un globe, soit de menus objets de toilette. On revient ensuite au village. Maintenant la bergerette et son pastour sont unis, et de toutes les poitrines s'échappe I'air traditionnel qui accompagne le retour de l'épousée à la maison paternelle :
I l'emmenons la mari-aÏ-e
I l'emmenons dans sa maison.
Un feu de joie est dressé dans le village. Aussitôt que la noce arrive, les fagots de fournille s'évanouissent en une joyeuse flambée, pendant que le marié doit casser d'un coup de fusil la vessie de goret pleine d'eau ou abattre les pommes de pin se balançant au sommet de la perche du feu de joie. La perche restera là jusqu'à ce que le temps qui détruit tout se charge de la faire tomber. Quand elle s'inclinera, dit la tradition, à la ferme la gent villageoise apprêtera des langes
pour recevoir celui dont la venue «déride les plus tristes fronts ». Si le marié ne réussit pas à tomber les pommes de pin, les jeunes gens, par des coups de feu, des coups de pierre essaient de couper les fils qui retiennent les couronnes.
Sur un rang, les hommes et les femmes de service attendent maintenant les mariés pour leur souhaiter la bienvenue et les embrasser. Les gars crient à tue tête :
Trempez la soupe; trempez
La mari-aÏ-e qu'arrive
C'est le moment de la prise de possession de la maison. Deux camps se forment. Un groupe s'enferme à l'intérieur, l'autre reste au dehors. Celui-ci chante les couplets suivants :
Sont troès pigeons ramés qu'avant pris lu volaÏe,
Le l'avant pris si haoût, si loin, la mer avant traversaÏe :
Ouvrez la porte, ouvrez nouvelle mari-aÏ-e
Sus le logis d'au roê, avant fait lus appouaÏe
L'avant pondu et couaÏe, ont amené grouaÏe
Ouvrez la porte, ouvrez nouvelle mari-aÏ-e
Ceux de l'intérieur répondent :
I ne pét rouvrir, sé dans mon Iet couchaie
Mon mari m'y tint, m'y tint à brassaÏe
Et la porte s'ouvre cependant !
Parfois aussi les mariés s'asseyent à la porte de leur demeure; les invités leur chantent une chanson et les forcent à manger du pain sec, à boire de l'eau. Si deux mariages ont lieu en même temps dans la même famille, la femme qui doit faire la cuisine ramasse la casserole, la poêle jetées dans la place; l'autre qui s'occupera du ménage ramassera le balai, le battoir etc. La mariée rentre-t-elle dans la maison de son beau-père ? Celui-ci lui donne le bras pour l'introduire dans sa nouvelle demeure. L'époux auquel échoit le soin de l'étable, devra remettre la fourche du soigneur en place et celui qui va au labour remisera la charrue à l'endroit d'où on l'a retirée pour la circonstance.
Les tables sont dressées dans la grange transformée en salle de festin. Les murs sont tapissés de drap ornés de roses: une couronne blanche se balance au-dessus de la tête de la mariée. Tout d'abord on n'entend que le bruit des fourchettes frappant sur les assiettes, le son des mâchoires broyant les aliments. Puis notre gros plant ayant quelque peu délié les langues et humecté les gosiers, de toutes parts s'élèvent les vieux airs vendéens. Bientôt c'est une véritable cacophonie, chacun des chanteurs cherchant à dominer la voix du voisin :
Sont-zy pas de noce itchi
Sont-zy pas de noce ?
Subitement le silence se fait; on va danser les gâteaux offerts par les parrains et marraines des mariés. Ce n'est pas la partie la moins originale d'une noce vendéenne que la danse des gâteaux. Sur une large tôle s'étend la pâtisserie qui, parfois atteint le respectable poids de trente kilogrammes. Deux hommes la tiennent suspendue au-dessus de leurs têtes et conduits par le violoneux exécutent des entrechats, qui pour n'avoir rien de commun avec la chorégraphie, n'en ont pas
moins leur cachet bien particulier. Le gâteau découpé, chacun en reçoit un morceau, puis le café servi on se met à la danse. Cavaliers et cavalières ne perdent pas un seul instant. Jusqu'au moment du dîner les quadrilles succèdent aux polkas les mazurkas aux scottishs. Parfois un farceur jette dans le bal de la graine de chardon et les jeunes filles de se gratter à la joie générale. Les anciens pour qui les sauteries n'ont plus d'agréments, jouent aux cartes, font de nombreuses parties de palets, arrosées par de nombreux verres de gros plant. Au repas du soir, les jeunes filles chantent la chanson de la mariée.
Permettez qu'en ce jour,
O jeune et tendre épouse,
S'explique notre amour ;
Ne soyez point jalouse.
Ecoutez nos accents
Et nos avis touchants
Dès le premier soir, l'alcôve commune abrite les deux époux. Celui d'entre eux qui soufflera la chandelle mourra dans l'année, aussi pour éviter ce malheur, ils doivent
I'éteindre ensemble ou bien la laisser se consumer entièrement. Vers onze heures, tandis que les chants des amateurs de cartes et de palets retentissent dans la grange, la jeunesse prépare la soupe à l'oignon fortement saupoudrée de poivre, comme le veut la tradition, et la porte aux mariés. Ceux-ci goûtent les premiers et chacun puise à même dans la soupière.
Le lendemain de bonne heure la soupe aux choux est servie. De nouveau, la danse reprend. Moins nombreux que le jour précédent sont les danseurs. Une nuit sans sommeil pendant laquelle le vin blanc coula trop abondamment a mis beaucoup de cavaliers hors d'état de reprendre la sauterie. Aussi, au dernier repas, de toutes parts se croisent les chants. La cacophonie de la veillée n'est que jeu d'enfant auprès de ce bruit assourdissant pour les oreilles les moins délicates. C'est au cours de ce déjeuner que les frères du marié, célibataires et plus âgés que lui, filent et dévident jusqu'à ce qu'un plaisant enflamme la quenouillée.
Il faut maintenant se quitter. Les voitures s'attellent ; parents et amis prennent congé des jeunes époux ou vont conduire la mariée chez son nouveau maître si elle abandonne le village natal. Ceux qui voyagent à pied, emportant un morceau de pain et de viande fixés au bout d'un bâton font retentir la campagne de leurs chants. Au lointain. dans le
crépuscule gris, on perçoit les échos d'un noceur attardé :
M'en revenant daus noces
I étais bé fatigué Sus le bord d'ine fontaine I me sé repousé… Puis tout rentre dans le silence, car ces deux jours de festin demandent un sommeil réparateur.